Nouvelle réception de la Poéthèque : NRF printemps 2023
Au lendemain des manifestations autour de la Journée des droits de la femme, pour le soutien des femmes en Iran et partout dans le monde, ce nouveau numéro de la Nouvelle Revue Française vient à propos. Avec sa couverture rouge, il nous propose deux dossiers, certes aux antipodes l’un de l’autre, mais tout aussi riches et actuels : les Femmes et l’écrivain L. F. Céline.
Le premier dossier sur la femme rassemble des écrits divers, tous œuvres d’écrivain.e.s. Claire MARIN, philosophe, s’adressant à sa grand-mère défunte, évoque la relation des femmes à leur corps, ce corps féminin dont on ne parlait pas, au fil des générations ce qui lui fait dire j’ai hérité de ce corps qui dans ma mémoire d’enfant était le tien et Nathalie AZOULAY, romancière nous livre une fiction autour de ce thème du corps et des « tralala » des filles. Anne-Sophie STEFANINI, romancière et éditrice et Hemley BOUM, romancière, quant à elles, s’entretiennent sur la quête de liberté des femmes inculquée par leurs mères et grands-mères, qui, en revanche, ne parlaient pas d’amour. Peut-être est-ce pour cela que nous écrivons, pour témoigner de la puissance dévastatrice et nécessaire de l’amour …
Trois articles nous font découvrir des écrivaines méconnues. Tout d’abord Leslie BLANCH que Kevin SPIRE, essayiste, nous fait revivre en se rendant dans sa maison près de Menton, pour mieux nous imprégner de l’univers de cette auteure retirée dans cette région de 1972 à sa mort pour écrire. Ayant multiplié les voyages aux côtés de son mari, qui n’était autre que Romain Gary, elle a écrit et publié essentiellement des récits de voyage et des biographies, dont un essai sur Pierre Loti, et un autre sur Romain Gary. Elle est considérée comme une figure de l’écrivaine voyageuse, au même rang qu’Isabelle Eberhardt.
De son côté, Patrick AUTREAUX, écrivain et ancien psychiatre, s’attarde sur un roman de l’écrivaine brésilienne Claire Lispector « Agua iva », monologue d’une femme peintre écrivant à un amour dont elle semble revenue Je viens de l’enfer de l’amour. Julia KERNINON, romancière, évoque l’ouvrage de Lucy Ellmann « Les lionnes ». En donnant la parole à une mère de quatre enfants, au foyer, elle tente de montrer l’importance et la puissance de cette femme dont les pensées occupent tout le livre. Debout sans la cuisine, la narratrice évoque l’état du monde, l’écologie, les chansons de son enfance, … les livres lus … les choses apprises, les liens avec ses enfants …
Hélène GESTERN, écrivaine et enseignante nous entretient sur la neutralité, un état intermédiaire … une ligne de crête toujours mouvante … tandis que Camille DEJARDIN, professeur de philosophie, nous parle de John Stuart Mill, défenseur des droits de la femme. Auteur en 1869 d’un pamphlet sur l’asservissement de la femme, cet homme a toujours combattu aux côtés de sa femme, Harriet TAYLOR, sur deux fronts : l’analyse des mécanismes du patriarcat et l’hypothèse de son abolition.
Le dossier accorde également la place à deux poétesses Ana AYANOGLOU et Carol Ann DUFY, écossaise avec deux poèmes sur la femme, surprenants à la fois par leur force et leur forme.
Tous ces articles ont pour point commun la question de la transmission : l’héritage familial avec ces références aux mères et grands-mères, la transmission littéraire avec l’évocation de ces femmes qui ont consacré leur vie à l’écriture et à la littérature. La place du corps dans la littérature est également omniprésente, de même que le combat pour la liberté.
Le second dossier consacré à L. Céline, nous transporte immédiatement dans l’univers de l’écrivain avec une nouvelle inédite « La vieille dégoûtante ». Cinq articles lui sont consacrés. Alban CERISIER s’attarde sur « Londres » et Yves PAGES sur « Guerre ». Tandis que Philippe BORDAS évoque « Féérie » et la place du vélo dans cette œuvre. Deux romanciers réinventent Céline avec chacun une fiction « Les dimanches on sort les vieux » de Javier SANTISO et « Fragments d‘un journal fictif de Céline » de Josselin GUILLOIS.
Ensuite, Michèle GAZIER, écrivaine et critique littéraire nous entraîne dans une petite promenade chez Annie ERNAUX qui nous ouvre les portes de ses trois bibliothèques. La lauréate du prix Nobel de littérature nous parle de ses lectures d’enfance, d’adolescence et d’écrivaine. On est à la fois surpris et amusé de découvrir qu’Annie Ernaux, adolescente s’adonnait à la lecture de « Bonne soirée » ou « La veillée des chaumières » ou encore de la série des « Brigitte » de Berthe Bernage.
Enfin, le dernier chapitre « Critiques libres » nous fait découvrir trois articles sur des ouvrages récents : Maylis BESSERIE évoque Le trio des ardents de Patrick Grainville – essai sur Isabel Rawthorne, Alberto Giacometti et Francis Bacon – Dominique BARBERIS apprécie Le jardin céleste de Karel Schoeman, grand romancier sud-africain, et David ROCHEFORT Le petit roi de Matthieu Belezi , réédition d’un premier roman paru en 1998, qui raconte l’histoire d’un enfant abandonné.
Olivier BARROT nous livre un article sur la Comédie française, Patrick AMINE nous informe sur la réouverture du Musée royal des Beaux-arts d’Anvers et Sean ROSE sur l’exposition du musée du Jeu de paume Le bégaiement de l’histoire.
Voilà encore un numéro varié et riche en informations, qui nous ouvre des pistes de connaissances, de réflexions, de lectures et nous procure beaucoup de plaisir.