Nouvelle réception de la poéthèque-POSSIBLES-N°23-MARS 2022
Risquer un pied dans l’éternité
De janvier 1975 à l’été 1980, 22 numéros de Possibles ont paru. Quarante ans plus tard, en 2015, un Possibles deuxième série est né en ligne avec 62 numéros d’où les présents poèmes sont extraits. Désormais, en suite interrompue de la première partie, la revue revient au format papier à compter du n°23.
Vivre, c’est venir, grandir, tenir, avant de mourir : c’est aussi transmettre, perpétuer nous dit Pierre PERRIN, rédacteur en chef de la revue, dans ce qui tient lieu de postface.
Et c’est bien cette démarche que ce numéro de la Revue Possibles entreprend en réunissant 17 poètes sur le thème de la perte, de la disparition, de l’évanescence de toutes choses, et aussi de la transmission.
Ce numéro s’ouvre sur une série de poèmes de Jacques REDA, célébration des disparus toujours présents Ceux d’entre nous qui ont le goût de l’éternel ….. reviennent la nuit dans la maison qu’on a vendue …
Les poètes successifs vont évoquer, chacun à leur manière et avec l’écriture qui leur est propre, le deuil d’êtres chers.
Le deuil du père par Jacques REDA , avec le poème « Tombeau pour mon père » nous sommes descendus au cimetière dont on a coupé tous les arbres ….
Deuil de la mère avec Jean PEROL Mère me voici devant la pierre, ou Pierre-Yves MASSON Nous habitâmes une terre de joie…ou encore ce cri d’amour de Richard ROGNET … Tu m’entends ? tu m’entends ? ai-je crié tandis que ma vie semblait se défaire autour de toi … Deuil d’un ami avec Chloé RADIGUET Disparition de « mon ami, mon frère ». Tristesse insondable. Et les griffes de la douleur me labourent le cœur …
Mais aussi le deuil d’animaux avec Jean ORIZET qui établit un lien entre la découverte d’une tourterelle morte au bord d’un puits et les rites sacrificiels égyptiens ; ou Jean-François MATHE … il n’était qu’un chat … mais ses yeux sont restés ouverts, ont fixé les nôtres, pour nous prouver que malgré notre impuissance, il nous préférait aux dieux.
Certains êtres affrontent soudain le deuil de leur pays, de leur maison, contraints à l’exil, et pour lesquels un objet les relie à leur vie d’avant Elle sont nombreuses à porter autour du cou, accrochée à une ficelle, une clé. Une clé de maison ancienne… cette clé qui n’ouvre sur rien. Qui n’ouvre sur rien, sauf sur un pan de sa mémoire (Jeanne ORIENT).
Il y a aussi l’exil intérieur, celui qui nous éloigne, non de notre pays, mais des autres ou de soi-même. On les appelle les « bouleversées » nous raconte Jeanne ORIENT … elles sont belles, lumineuses, vaillantes, présentes. Pourtant, une part d’elles s’est mise à flotter entre deux temps, deux mondes, entre elle et elle. Et Annie SALAGER nous émeut en évoquant cette jeune mariée qui en traversant la place Bellecour, … était sûre que les gens ne la voyaient pas puisqu’elle était transparente … elle glissait au milieu d’eux comme un nuage, comme un rêve …
Ce recueil aborde le passage du temps. Ce temps qui est un berceau où vos peines s’estompent … (Richard ROGNET) et qui nous entraîne progressivement vers la vieillesse la vieillesse est là, tout près, insidieuse … (Chloé RADIGUET). Absurde de vieillir au printemps … quand renaissance … quand éclosion … déplore Eve de LAUDEC ; tandis que Colette FOURNIER nous dépeint au détour du chemin, la vieille dame en gris
Les objets témoignent de ce passage du temps, et restent présents dans nos mémoires, telle la balançoire évoquée par Jean ORIZET ce matin encore elle oscillait sous les claques du vent. L’enfant qui aimait cette balançoire est mort…. Ou encore Jacques REDA et son regret on vient de supprimer le petit train d’intérêt local qui, les jours de marché, passait couvert de poudre …. Et qu’ont-ils fait de la locomotive ?… C’est aussi Vénus KHOURY-GHATA évoquant le cabinet d’essayage de la couturière les couturières qui pédalaient sur leur Singer …
Qu’on se rassure, cet ensemble de textes n’est ni triste ni sombre. Au contraire, il célèbre la vie, et nous invite à prendre le temps d’exister … » (Richard ROGNET), à savourer cette joie qui pourrait nous suffire : celle d’être (Jean-Michel MAULPOIX). Evanescence de cette joie qui nous envahit, et nous quitte, éclair subit venu de ce versant caché du monde (Philippe DELAVEAU).
Il affirme la force des mots, de l’écriture, qui magnifie la vie. Changer en voix, en chant peut-être, le souffle même de notre vie, nous dit Jean-Michel MAULPOIX.
C’est ainsi que ce recueil nous réconcilie avec la mort, nous la rendant à la fois proche et lointaine.
MNG
Il faut en passer par la toilette des morts
et partir, étranger, vers ceux-là qui questionnent.
Si tu n’entends pas leur langage,
laisse faire l’enfant qui te précède.
Nomme-toi
Jean-Pierre SIMEON